Par André Pownall, professeur à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne et ancien pasteur.

Sauter en parachute, partir en vacances aux Seychelles, obtenir une promotion, faire construire le pavillon de ses rêves… les humains vivent de projets. Nombreuses sont les Églises, cependant, qui n’en ont pas. «Nos Églises n’ont pas de vrais projets» quelqu’un a-t-il observé. «Elles ont des activités et des problèmes !» Faute d’avoir pris le temps de se mettre d’accord sur un projet, elles naviguent au gré des vents et des marées, sans idée claire de la destination visée.

La notion de projet devient familière aux lycéens qui choisissent la filière ES (économique et sociale) au baccalauréat français. Elle entre dans les mœurs des entreprises, des administrations et des associations, mais jusque-là elle est peu utilisée dans les Églises. Pourquoi devraient-elles s’y intéresser davantage? Même si un projet d’Église exige un investissement important, il y aurait au moins trois bonnes raisons pour aller de l’avant…

 

1. Pourquoi un projet d’Église?

Survol des fondements bibliques

Dieu lui-même a un projet qu’il dévoile peu à peu aux humains. À Ève il apprend que l’un de ses descendants (à elle) écrasera la tête du serpent tentateur (Gn 3.15), et à Abraham qu’il fera de lui une bénédiction pour toutes les familles de la terre (Gn 12.3). Au prophète Ésaïe, il révèle que le mystérieux personnage de son Serviteur souffrant rendra juste un grand nombre de gens (És 53.11), et à l’apôtre Paul qu’il prévoit de rassembler tout ce qui est dans les cieux et sur la terre sous un seul chef, le Christ (Col 1.20). Le psalmiste l’affirme clairement, «Le plan du Seigneur existe pour toujours. Les projets de son cœur sont valables de génération en génération» (Ps 33.11, version «Parole de vie»).

Dans sa Parole, Dieu nous fait part des projets précis qu’il a pour son peuple aux carrefours de l’Histoire. Dieu dit au peuple d’Israël en exil: «Je connais les projets que j’ai conçus en votre faveur… ce sont des projets de paix et non de malheur, afin de vous assurer un avenir plein d’assurance» (Jr 29.11). Inutile pour son peuple de faire des projets de retour à la patrie, car cela ne correspondait pas à ce moment-là au projet de Dieu, qui leur préparait un séjour de soixante-dix ans à Babylone. Cela ne laisse-t-il pas entendre que Dieu pourrait avoir des projets pour les Églises françaises sur lesquels elles seraient appelées à s’aligner, en acceptant de revoir les leurs?

L’apôtre Paul avait des projets, même si Dieu ne lui a pas toujours permis de les réaliser: le projet d’annoncer la Parole de Dieu dans la province d’Asie (Ac 16.6), celui d’amener une offrande à Jérusalem (Ac 19.21, Rm 15.26), celui d’évangéliser l’Espagne (Rm 15.24). À partir du moment où Dieu lui a confié la mission de le faire connaître aux païens (Ac 9.15), Paul ne pouvait pas manquer de projets!

Résistances

Certains pasteurs se défendent d’avoir un projet d’Église. Ils considèrent que Dieu conduit l’Église selon sa volonté, et que leur devoir est simplement de le suivre pas à pas, sans chercher à savoir quel est son projet pour eux. Mais que le projet du pasteur soit explicite ou implicite, précis ou vague, élaboré ouvertement avec l’Église ou inconsciemment au fond de son cœur, il me semble qu’un homme ne peut pas être au service de l’Église sans porter en lui un projet.

Bon nombre d’Églises souffrent, malheureusement, d’être engagées dans des projets sans jamais avoir été consultées. D’autres responsables sont tellement pris dans le feu de l’action qu’ils ne prennent pas de recul afin de réfléchir à la direction que l’Église serait appelée à prendre, et elle avance ainsi dans le flou et l’incertitude. L’Église, par contre, qui discerne le projet de Dieu pour elle et qui s’y engage, va probablement se sentir pousser des ailes.

Jeu de morpion avec coeurs

2. Les projets possibles

Projets petits et grands

On parle couramment de «projets» de distribution de tracts, de parcours «Alpha», de cultes «portes ouvertes», de clubs d’enfants, de remplacement de la chaudière, d’installation de sonorisation, de mise en place de vestiaire ou de «restaurant du cœur»… Il s’agit, à mon idée, de projets d’activités ou d’équipements, mais non pas de projets d’Église. Ce sont des moyens pour mener un projet, mais où est le projet?

Un projet d’Église définit l’identité de celle-ci, ses priorités et sa vision, mais il ne s’arrête pas là. Il me semble que tout projet implique nécessairement un objectif de développement ou de multiplication d’Églises, ici ou ailleurs (sauf, peut-être, dans des zones de fort exode démographique). Devant les énormes besoins spirituels du monde francophone d’aujourd’hui, les Églises ne peuvent guère se permettre de se contenter de «tourner» ou de se préoccuper de leur propre confort. Le Dieu qui envoie les apôtres annoncer la Bonne Nouvelle jusqu’au bout du monde n’aurait-il pas des projets de développement et de multiplication pour les Églises?

Projets de développement

Certaines Églises semblent évangéliser par devoir, par habitude, pour se donner bonne conscience, ou simplement pour éviter de voir diminuer leurs effectifs. Elles seraient les premières surprises si on leur disait que l’évangélisation pourrait conduire à la croissance, et qu’ensuite elles ne pourraient plus continuer à vivre comme avant!

Pourquoi évangélisons-nous? Quelle est la courbe de croissance de notre Église (l’étude peut être révélatrice!)? Notre Église n’aurait-elle pas encore un potentiel de croissance? Pas plus qu’un être humain, une Église ne va pas poursuivre la croissance sans fin, mais le «nanisme ecclésiastique» n’est pas une fatalité! La taille moyenne des Français n’a cessé d’augmenter au cours du 20e siècle, et par la grâce de Dieu, la taille des Églises françaises ne pourrait-elle pas augmenter sans cesse au 21e?

Projets de «maternité»

Même dans le contexte de faible natalité de l’Europe contemporaine, la maternité fait encore partie des projets d’une très grande majorité de femmes. Pourrait-on en dire autant, si on parlait de «maternité d’Église» pour les Églises françaises? S’il y a un cycle de vie «normal» d’Église en bonne santé, il me semble que la reproduction ou la maternité devra y figurer.

Ce sera une grande aventure, et cela coûtera à la «mère», mais cela comportera aussi de grandes joies et aura de nombreuses retombées positives.

3. Préparer un projet d’Église

Étudier l’Église et son contexte

Cela commence par l’étude de l’Église, de son histoire et de son contexte.

  • Comment l’Église a-t-elle été implantée?
  • Quels ont été ses temps de croissance les plus forts et les expériences marquantes de son parcours?
  • Quelle est son identité?
  • Quels sont son rayonnement (local ou régional), son public (divers ou ciblé, qu’il s’agisse d’une génération, d’une classe sociale ou d’une ethnie), sa capacité d’accueil, sa fonction (aumônerie de quartier, club privé, famille d’accueil, dispensaire, salle de concert, laboratoire de théologie pratique, etc.!), ses valeurs fondamentales, son style de piété?
  • Quels sont les dons et ministères dont elle dispose?
  • Quels sont ses moyens matériels, ses points forts et faibles, et sa capacité d’adaptation?

En regardant maintenant vers l’extérieur:

  • Quel est le contexte de l’Église?
  • Quelle est l’évolution de la démographie locale, de la composition sociale et de l’activité économique de la région? Des données très utiles sont accessibles à la bibliothèque locale et dans les services de la mairie. Pour être judicieux, un projet d’Église devra tenir compte de l’ensemble de la réalité de l’Église et de son contexte.

Être à l’écoute de Dieu…

Une étude sérieuse ne suffit pas, cependant. Elle doit être accompagnée d’une bonne qualité d’écoute de Dieu, des membres de l’Église et de son entourage.

L’écoute de Dieu, tout d’abord, car le projet le plus beau et le plus intelligent ne pourra réussir si Dieu n’en est pas à l’origine et ne le bénit pas. «Vous faites des projets qui ne viennent pas de moi… Vous ne concevez que du foin, vous n’enfantez que de la paille» (És 30.1; 33.11). Combien il est donc essentiel de prendre du temps individuellement et ensemble et de se mettre sérieusement à l’écoute de Dieu, au moyen de la prière et éventuellement du jeûne, afin de discerner la volonté de Dieu!

Jésus nous donne le bon exemple par la qualité de sa propre écoute de la voix de son Père: «Je ne cherche pas à faire ce que je veux, mais à faire la volonté de celui qui m’a envoyé» (Jn 5.20). Avant de choisir les douze disciples, il passe toute la nuit à prier son Père (Lc 6.12). De même, l’envoi de Paul et Barnabas en mission (Ac 13.1-4) est le résultat d’un temps de jeûne et de prière de l’équipe des cinq responsables de l’Église d’Antioche de Syrie.

… et de l’Église

L’écoute des membres de l’Église, par le moyen d’échanges en assemblée et en petits groupes, d’entretiens personnels et de questionnaires servira à associer l’ensemble des membres à la préparation du projet. Quels sont leurs besoins et frustrations, leurs attentes et aspirations?

Il ne s’agit pas seulement d’écouter les plus bavards et volubiles, mais aussi les plus timides et effacés, en donnant tour à tour à chacun l’occasion de s’exprimer. Et parce que l’Église existe aussi bien pour le monde que pour ses membres, il convient d’écouter les opinions de l’entourage, et de chercher à mieux cerner ses besoins et attentes.

Rêver ensemble

Le projet aura aussi une part de rêve. Il sera utile, en effet, de faire appel à l’imagination de l’Église. Telle Église dans 5 ans ou dans 10 ans, à quoi ressemblera-t-elle, si Dieu la bénit? Et si ses membres se mettent à rêver un peu, et à présenter ces rêves à Dieu? Ne prend-il pas plaisir à exaucer les prières de ses enfants (Mt 18.19)?

4. Bâtir le projet

Définir le projet

Jusqu’ici, tout va bien, car tout le monde est content d’avoir l’occasion de s’exprimer! L’Église en ressent un tel bienfait qu’elle est tentée d’interrompre le processus et de continuer à naviguer à vue! L’étape préparatoire ressemble, en effet, à la période idyllique de la fréquentation, qui précède les tractations plus compliquées des fiançailles, d’où tous les deux partis doivent sortir «gagnants». À la différence, cependant, du projet de couple qui se fait à deux, le projet d’Église mobilise de nombreuses personnes de divers horizons!

Le plus important, qui ne manquera pas de révéler le degré de maturité de l’Église, reste encore à faire. Il s’agit maintenant de faire ensemble des choix difficiles, qui impliquent des ambitions déçues, des rêves brisés, des renoncements et des deuils, et c’est généralement à ce moment-là que les choses se gâtent!

Après cette étape de consultation, nous sommes encore loin du but, et il n’y a pas de raccourcis possibles. Par exemple, le pasteur, qui croit sentir la direction du vent, impose son projet à ses risques et périls. Le projet bâti en catimini par le conseil, sans consulter la base, risque de rester lettre morte.

Chercher le consensus

Si chaque membre de l’Église tient à son idée comme un chien défend son morceau de bifteck, aucun compromis n’est possible, et aucun projet ne verra le jour. Un bon projet est une somme de renoncements et de sacrifices personnels de la part de tous (un «parfum de bonne odeur» qui plaît à Dieu!) en vue d’un objectif précis.

C’est le produit d’un consensus, le fruit de la réflexion et du travail de l’ensemble de l’Église. Le grand défi consiste, en effet, à bâtir ensemble le projet, en discernant les vraies priorités, et en acceptant de laisser de côté les autres, malgré l’attachement des uns et des autres à leur égard.

Travailler à partir de l’objectif visé

Il est souvent difficile d’imaginer la réalisation d’un projet à partir de ce qui existe, tant on peut être emprisonné dans des carcans d’idées reçues, de traditions et d’habitudes. Il est plus facile, mais pas forcément moins efficace, de partir de l’objectif désiré. Au terme du projet, à quoi ressembleront les cultes, les locaux, le conseil d’Église, l’équipe de permanents, le programme de jeunes et d’enfants, etc.?

Ensuite, d’étape en étape, il s’agit de revenir vers le présent et de découvrir les chemins à emprunter.

Calculer le coût

À chaque projet correspondent une équipe, un bâtiment et un fonctionnement.
Il y a des projets qui peuvent être menés sans surcharge des moyens déjà en place, et d’autres qui exigent des moyens supplémentaires ou carrément différents. Dans Luc 14.28-32, Jésus donne des conseils pratiques aux constructeurs de maison et aux rois ayant l’esprit de conquête, qui s’appliquent aussi aux bâtisseurs de projet. Inutile de bâtir des projets qui ne correspondent pas au potentiel de l’Église.

La capacité d’une Église de mener un projet se développe comme le muscle: par l’entraînement adapté et progressif. Il vaut mieux commencer par un projet modeste à court terme, donner à l’Église le goût du succès et augmenter peu à peu la difficulté dans des projets successifs.

Étape après étape

Pour la construction du projet, il faudra un bon «chef de chantier», c’est-à-dire un modérateur accompli, à l’autorité reconnue, attentif à toutes les voix, ayant un bon esprit de synthèse et la confiance de tous. Les différentes étapes du processus seront clairement signalées à l’assemblée, qui aura besoin d’enseignement et d’accompagnement spirituel pour les franchir successivement.

  • Peu à peu, après l’étude attentive des avantages et des inconvénients de toutes les options, celles qui sont les moins intéressantes seront éliminées, afin de simplifier les choix.
  • Chaque avancée importante sera suivie d’une pause, pour la réflexion, la prière et l’apaisement, avant d’être entérinée.
  • Chaque décision sera enregistrée et validée, avant d’aller plus loin.
  • Au fur et à mesure, chaque membre de l’Église devra mettre du temps à part pour la réflexion et la prière, voire le jeûne, et prendre conscience des enjeux, car il ne pourra remettre en question individuellement les acquis.
  • Le processus exigera de la part de tous patience, qualité d’écoute, maturité, renoncement, discernement de la volonté de Dieu et persévérance.

5. La mise en œuvre du projet

Entretenir la vision du début à la fin

C’est seulement dans la mesure où tous les membres de l’Église se reconnaissent dans le résultat de ce processus qu’ils seront motivés à se mobiliser pour sa mise en œuvre, à l’image des trois hommes sur un chantier qui sont interrogés par un journaliste, dans une histoire assez connue.

Côte à côte, employés à la même tâche, les trois peinent et transpirent en taillant des pierres, chacun avec une vision très différente: l’un travaille pour vivre, en maudissant l’avarice de son employeur; le deuxième façonne patiemment une embrasure de fenêtre; le troisième participe passionnément à la construction d’une cathédrale.

Tout au long de la mise en œuvre du projet, grâce à une bonne communication, à un enseignement de qualité, à un appui constant dans la prière, et à des évaluations régulières des progrès accomplis, la vision incarnée dans le projet doit animer les membres de l’Église.

Au lancement du projet, il est utile de présenter le coordinateur et l’équipe de responsables à l’assemblée et de prier pour eux.

La démarche finale consistera à faire un bilan, avant de fêter ensemble le succès du projet dans un culte de reconnaissance.

Faire évoluer les structures

Il y a des projets modestes qui peuvent être portés par les structures existantes (l’équipe, le bâtiment et le fonctionnement). D’autres projets plus ambitieux ne manqueront pas de faire exploser les «vieilles outres», et nécessitent une évolution importante des mentalités et des moyens. On ne gère pas un «bataillon» comme on gère une «famille», un «clan» ou même une «tribu»!

Si le pasteur et le conseil sont trop pris par la gestion de la vie courante de l’Église afin de pouvoir se consacrer au projet, il s’agira de les dégager de certaines responsabilités, ou de nommer d’autres personnes (comme les apôtres ont fait pour répondre aux besoins des veuves grecques, Ac 6).

Si le bâtiment ou le fonctionnement de l’Église d’hier ne correspondent pas aux besoins de l’Église de demain, ils devront être abandonnés (malgré l’attachement sentimental qui peut exister!). On n’habite pas des locaux construits pour l’Église mûre comme on habite la boutique reconvertie qui a si bien servi l’Église naissante. On n’accueille pas les visiteurs de la même manière dans une assemblée de 50 personnes, que dans une assemblée de 500.

Plante qui grandit

Les étapes de la croissance

La proposition personnelle de typologie d’Église qui suit est à utiliser de manière créative. De même que la notion de troupeau n’implique pas que les brebis se suivent forcément à la queue leu leu, celles de bataillon ou de régiment n’impliquent pas nécessairement une discipline militaire.

Les chiffres indiquent l’assistance moyenne au culte dans des Églises de type congrégationnaliste, où la direction est collégiale et les membres sont engagés. Pour des Églises charismatiques avec une direction très centralisée, il faudrait certainement augmenter les chiffres.

« La famille » (< 12 personnes) a la taille typique d’un groupe de maison. Ce type de groupe fonctionne très bien avec 8 à 12 personnes, qui sont souvent de caractère assez homogène, conduites par un «père». Des affinités se manifestent, mais la taille du groupe permet à tout le monde d’avoir des relations assez suivies avec tous les autres. C’est un genre de groupe généralement très sécurisant. Certaines Églises de maison conservent cette taille.

« Le clan » (20-50) est comme une famille étendue, un «clan» rassemble plusieurs générations sous l’autorité d’un «patriarche». Tout le monde se connaît, même si tout le monde ne fréquente pas tout le monde de manière assidue. Si on y trouve sa place, il y fait bon vivre.

Bon nombre d’Églises évangéliques françaises ont cette dimension, et en province, où elles sont souvent les seules présentes dans un lieu, elles vivent relativement bien.

Dans les grandes villes, cependant, elles représentent une option peu attrayante à côté d’Églises plus grandes. Elles sont comme l’épicerie artisanale qui a de plus en plus de mal à concurrencer les hypermarchés (deux formes d’organisation de la distribution alimentaire très différentes l’une par rapport à l’autre!).

« La tribu » (80-150) rassemble plusieurs familles et plusieurs générations sous l’autorité d’un «chef». Tout le monde se connaît, mais pas toujours par son nom, peut-être seulement de visu. Il y a déjà une certaine spécialisation des rôles, mais de temps en temps, tout le monde exprime l’unité du groupe en participant à la même activité. Si le pasteur fait du bon travail et s’entend bien avec le conseil, la «tribu» donne à chacun les moyens de s’épanouir.

C’est une forme d’Église très appréciée. De nombreuses Églises de banlieue implantées dans les années 1960-70 atteignent aujourd’hui cette dimension. Ce sont des «supermarchés» ecclésiastiques, qui proposent un bon choix de services spirituels.

« Le bataillon » (200-500) est un rassemblement où on ne connaît pas tout le monde, même de visu, et qui est animé par une équipe professionnelle, avec une organisation assez poussée. Tout le monde ne s’occupe pas de tout: il y a au moins deux ou trois permanents avec des ministères très nettement spécialisés. À l’intérieur du rassemblement, il y a plusieurs groupes distincts, et plusieurs options disponibles.

C’est un groupe dynamique, souvent «dans le vent», exerçant une forte attraction. Des «bataillons» commencent à faire partie du paysage évangélique français, tels des hypermarchés offrant un très large choix de services.

« La suite» : on pourrait distinguer le «régiment» (< 2000), la «division» (< 5000) et l’«armée»… Je ne suis pas encore familier avec ces types de rassemblement, dont le nombre d’exemples en France se compte sur les doigts des deux mains.

Les zones de transition

Entre ces différents types, il existe des zones où l’Église est entre deux «chaises» : elle évolue vers le haut ou vers le bas, ou elle reste sur un plateau.

Ces zones de transition sont des lieux de stress et de tensions, entre les membres nostalgiques qui regrettent l’étape précédente, et (dans une situation de croissance) les membres ambitieux qui aspirent ardemment à l’étape suivante, et il n’est pas facile de se trouver pris entre les dynamiques différentes.

S’adapter à un nouveau type de taille présuppose un changement de vision, de mentalité et de pratiques, et peut-être encore d’équipe, de bâtiment et de fonctionnement.

Savoir élaborer une vision et un plan stratégique est vital pour sortir de ces zones de transition.

Deux types de croissance

À l’intérieur d’une taille, si le contexte est favorable, et si l’Église est en bonne santé, il y a une possibilité de croissance homogène. C’est-à-dire que l’Église tourne de mieux en mieux et grandit sans changer de vision ou de mode de fonctionnement. Ce type de croissance est celui qui est le plus souvent recherché par les pasteurs et les Églises, car il ne les remet pas fondamentalement en question.

Entre deux tailles, dans une zone de transition, cependant, la croissance mettra tout le monde sous pression: le pasteur fait beaucoup d’heures supplémentaires, le conseil met les bouchées doubles, les membres sont sollicités de plus en plus, le budget augmente sans cesse. Au bout d’un certain temps, les membres risquent de s’essouffler, le pasteur de souffrir de «burn-out» ou l’Église d’exploser.

Passer d’une taille donnée à la taille supérieure nécessite une autre forme de croissance, qu’on pourrait appeler croissance hétérogène, qui implique une transformation de la vision et du mode de fonctionnement du pasteur et de l’Église, comme la transformation dans le fonctionnement de Moïse après la visite de son beau-père, Jéthro (Exode 18).

Il ne s’agit pas tout simplement de faire mieux et plus, mais de changer de manière et de mentalité. Il faut oublier ses habitudes, et renoncer aux outils et aux «recettes» qui marchaient à l’étape précédente.

Tous les membres de l’Église n’accepteront pas cette forme de croissance, et on ne pourra pas empêcher certains de partir (Que le Seigneur les bénisse!). Même les membres bien disposés de l’Église auront besoin de compréhension, d’enseignement, d’informations et d’aide pour bien vivre la transition.

La personne du pasteur

Faire évoluer une Église à la taille supérieure va souvent demander la transformation du leader. Tous les pasteurs, même ceux qui ont reçu la meilleure formation, ne sont pas faits, cependant, pour conduire une telle évolution.

Elle exigera à la fois de grandes capacités, comme celles :

  • d’évoluer personnellement et d’innover
  • de voir aujourd’hui ce qui va se passer demain
  • d’élaborer une vision et un plan stratégique
  • de communiquer cette vision
  • de mobiliser et de souder une équipe de collaborateurs
  • de persévérer face à la résistance et à l’opposition
  • de donner à ses idées le temps et les moyens de réussir.

Le recrutement de personnel

On considère, mais souvent à tort, qu’il suffit d’augmenter le personnel pour permettre la croissance de l’Église. Ce n’est pas toujours vrai. L’engagement d’un assistant, au contraire, peut servir de frein!

Un pasteur n’a pas toujours les compétences requises pour choisir un collègue. Au lieu de rechercher un collègue avec des dons complémentaires, il sera peut-être tenté de rechercher quelqu’un qui lui ressemble, qui pourra par la suite lui créer des frustrations et devenir un rival. Pire, encore, il pourra recruter son contraire, avec qui il ne pourra jamais collaborer, et qui finira par s’opposer à lui.

Une question importante pour la réflexion commune: Quel devrait être le profil du prochain collaborateur de l’équipe? Administrateur? Évangéliste des jeunes? Pasteur des familles?

6. Le cas de la transition d’une «tribu» à un «bataillon»

Changer de manière d’être

En passant du stade de la «tribu» à celui du «bataillon», l’assemblée se dédouble ou devient multiple: plusieurs assemblées se chevauchent à l’intérieur de la grande assemblée ou se succèdent dans le même lieu.

L’Église ne grandit pas seulement, elle change sa manière d’être, et multiplie ses offres de ministères. Cette transition se joue dans plusieurs domaines. Il s’agit de faire évoluer l’organisation de l’Église, afin de mieux répondre non seulement aux besoins et aux attentes des membres de l’Église, mais aussi à ceux de l’entourage.

Il s’agit aussi de faire évoluer les bâtiments. En effet, un lieu de culte rempli au-delà de 80% de sa capacité commence à freiner la croissance de l’assemblée, qui s’y trouve parfaitement à l’aise et qui risque de ne plus ressentir le besoin d’évangéliser.
Mais le défi de la transition est surtout au niveau du personnel…

Faire évoluer l’équipe de permanents

Les responsables, salariés et bénévoles, d’un «bataillon» auront besoin de disposer d’un cahier de charges précis, et de savoir précisément à qui ils sont redevables. Ils devront apprendre à se donner des objectifs précis, et accepter des évaluations régulières.

Comme dans toute autre Église, cependant, les salariés d’un «bataillon», même s’ils sont nombreux, ne sont pas là pour monopoliser les ministères, mais pour mobiliser les membres de l’Église.

Le pasteur d’un «bataillon» ne peut plus continuer à être le berger de tout le troupeau. Il ne pourra plus assurer directement l’accompagnement spirituel de tous les membres, il ne pourra plus accueillir personnellement tous les nouveaux. Il ne sera plus très souvent «au front», il ne gérera plus les dossiers de manière personnelle.

Le stress lié à la transition, en effet, sera plus probablement en relation avec ce qu’il ne devrait pas faire qu’avec ce qu’il devrait faire ! Il aura désormais un rôle de formateur et d’entraîneur, ainsi que de superviseur. Il aura besoin de nouvelles compétences, comme celle de la gestion du personnel, afin de savoir recruter, diriger, développer (et congédier, en cas de besoin) du personnel.

Faire évoluer le conseil

Le conseil, de son côté, sera probablement tenté de croire que la croissance impose une augmentation du nombre de conseillers et le développement de nouveaux comités et commissions.

Dans le court terme, cette stratégie peut être payante, mais peu à peu les nouvelles personnes impliquées se fatigueront et les nouvelles structures perdront en efficacité. Un conseil de «bataillon» ne travaille plus comme celui d’une «tribu». Il adopte de nouvelles méthodes:

  • il fait étudier au préalable par des personnes compétentes les questions à traiter en conseil, et il se contente de comparer les options présentées, avec leurs avantages et leurs inconvénients, et de trancher
  • il a du recul par rapport au processus de prise de décision et de vote en son sein
  • il distingue entre des problèmes de maintenance et des questions de stratégie
  • il prend du temps en dehors de ses réunions régulières pour élaborer la vision de l’Église et fixer les objectifs
  • il encourage activement le «feedback» de l’Église et l’écoute attentivement
  • il fait confiance, mais pas aveuglément, aux personnes auxquelles il a donné des responsabilités
  • il confie la gestion des bâtiments à des personnes plutôt qu’à des comités.

Conclusion

Dans cette approche théorique, j’ai constamment cherché à tenir compte des réalités du ministère pastoral et de la vie d’Église, avec lesquelles je garde le contact depuis ma «tour d’ivoire» de professeur.

Je suis conscient, cependant, que le plus difficile reste encore à faire… trouver le temps, l’énergie et la patience afin que la théorie prenne corps sur le terrain. J’aurais voulu citer des expériences vécues dans l’utilisation de ce modèle de projet, ou d’autres semblables, mais elles sont encore assez rares.

De nouveaux outils se développent pour de nouveaux défis, et ils ont besoin d’être essayés pour devenir performants.

Je compte donc sur vous et je fais appel à vos réactions (à envoyer à theopratique@ibnogent.org), auxquelles je m’efforcerai de répondre. Je serai très content d’être informé de vos expériences de mise en œuvre de projets d’Église, qui viendront donner une expression concrète et contemporaine aux projets de Dieu.

Quel sera donc votre prochain pas ? Consistera-il à vérifier le potentiel d’évolution de votre Église? À vérifier votre propre potentiel d’évolution? À vivre une transformation personnelle qui rendra cette évolution possible? À trouver un mentor pour vous encourager dans cette évolution (si possible, quelqu’un qui est déjà passé par ce chemin)? À communiquer la vision aux membres de votre Église? À embaucher un collègue? À revoir votre manière de travailler en conseil? À lancer un programme de formation de futurs responsables?

Mais au préalable, une étape primordiale qu’il ne faut pas oublier, celle de la préparation collective: étudier l’Église et son contexte, écouter Dieu, l’Église et l’entourage, et rêver un peu ensemble…

Article initialement paru dans « Les Cahiers de l’Ecole pastorale » n°67, mars 2008, Croire Publications