Par Daniel Liechti, directeur du développement de France-Mission.

Une Église en bonne santé est capable de se reproduire. Tel est le potentiel que le Seigneur veut donner à son Eglise afin de lui permettre de pérenniser sa vitalité et pour étendre le Royaume de Dieu dans le monde.

Ou pour utiliser une métaphore : un pommier est non seulement destiné à produire des pommes, mais il a la capacité intrinsèque de faire pousser des graines qui donneront naissance à d’autres pommiers.

Pommiers et tonneaux de pommes rouges

Une extraordinaire capacité

L’implantation intentionnelle de nouvelles Eglises peut donc être considérée comme la stratégie la plus décisive pour 1) la croissance numérique du corps du Christ dans n’importe quelle ville, région, segment de la société, et 2) le renouvellement des Eglises existantes.

Disons-le clairement : rien d’autre – programmes d’évangélisation ponctuels, de formation de disciples, ministères para-ecclésiaux (toutes ces choses peuvent par ailleurs avoir une certaine utilité) – n’aura un impact aussi profond et durable sur une ville ET sur les Eglises existantes que l’implantation de nouvelles Eglises.

Le fruit d'un pommier ce n'est pas une pomme. Mais un autre pommier. Robert E. Logan

Les réticences « normales »

Selon notre observation, pour des responsables évangéliques il n’est pas évident de se dresser ouvertement contre l’implantation de nouvelles Eglises lorsque la discussion porte sur ce sujet. Néanmoins, les objections, parfois enfouies et souvent inavouées, sont très fréquentes et ressemblent généralement à ceci :

– « Nous avons déjà beaucoup d’églises qui disposent encore de la place pour les nouveaux chrétiens qui arrivent dans la région et qui souhaiteraient s’y intégrer. Remplissons d’abord les églises  existantes avant d’en implanter de nouvelles »

– « La diversité des Eglises dans notre ville ou région est déjà complexe à gérer. Une nouvelle Eglise aurait immanquablement pour effet d’attirer les chrétiens curieux voire instables et tout deviendrait encore plus compliqué. Une nouvelle Eglise ici ne ferait que prendre les gens des Eglises existantes avec le risque de blesser et d’affaiblir tout le monde ».

– « Ce n’est pas le bon moment et la bonne priorité. Occupons-nous d’abord des Eglises petites ou vieillissantes qui luttent pour leur survie. Une nouvelle Eglise n’aidera pas celles qui arrivent tout juste à garder leur nez hors de l’eau. Nous avons besoin de meilleures Eglises et de chrétiens plus solides, pas de plus d’Eglises ».

– « En théorie ce serait bien d’implanter de nouvelles Eglises mais nous avons déjà beaucoup de mal à trouver des personnes pour assurer nos programmes. Ce n’est pas le moment de nous disperser. Nous devons concentrer nos forces ».

– « L’implantation de nouvelles Eglises a logiquement pour effet d’augmenter leur nombre et de répartir les chrétiens par conséquent dans des unités de plus en plus petites.  Ceci n’est ni souhaitable ni viable. A choisir entre implanter ou grandir, nous visons plutôt de créer de grandes Eglises ».

Ces déclarations semblent être frappées de bon sens et je peux les comprendre. Mais elles reposent sur plusieurs hypothèses erronées.

Pourquoi du point de vue biblique l’implantation de nouvelles Eglises est-elle nécessaire à la fois pour l’évangélisation de nouvelles populations ET pour la vitalité et le renouvellement des Eglises existantes ?

Besoin de prendre du recul au niveau théologique

Il est patent que l’enseignement de Jésus conduit naturellement les apôtres à implanter des Eglises. Tous les grands défis de l’évangélisation du Nouveau Testament sont essentiellement des appels à créer des « communautés de disciples » donc à implanter des Eglises, pas simplement à partager la foi, à évangéliser ou à faire des paroissiens fidèles aux réunions ! L’ordre missionnaire (Matthieu 28, 18-20) n’est pas seulement un appel à faire des disciples individuels mais à les baptiser et à les enseigner, en vue de leur multiplication, donc également à implanter des Eglises. La seule manière sûre et durable d’augmenter le nombre de chrétiens dans une ville, une région ou un nouveau segment de la société, est d’augmenter le nombre d’Eglises.

A ce propos, le récit de la jeune communauté d’Antioche (Actes 13,1-3) est significatif et très stimulant. De manière exemplaire elle recherche la volonté de Dieu concernant sa contribution à la croissance de son Royaume dans le monde. Alors que la communauté est en train de prier, jeûner et d’adorer le Seigneur, le Saint-Esprit interrompt son culte, parle et indique la méthode à suivre : « Mettez à part pour moi Barnabas et Saul pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés ». Ceux-ci partent donc et commencent à annoncer l’Evangile et à implanter des Eglises. Cet envoi de quelques implanteurs et équipiers – ici deux ou trois – est le chemin qui permet aujourd’hui encore à une Eglise majeure de se multiplier sans pour autant freiner sa propre croissance numérique. Et sans négliger les autres aspects de sa mission, pour lesquels Dieu veut également lui donner les dons et ministères.

Dieu a donné à l’Eglise une capacité reproductrice. Celle-ci passe essentiellement par sa faculté à générer des disciples et – issus du groupe des disciples – des nouveaux ministères pastoraux spécifiques. Des personnes qui peuvent, étant appelées par Dieu, partir pour aller annoncer l’Evangile et implanter de nouvelles Eglises.

Remplacer trois idées fausses par une stratégie juste et dynamique

1. Une idée un peu naïve, encore bien ancrée dans certains esprits, considère que l’implantation d’Eglises est nécessaire et justifiée lorsqu’il s’agit de régler un problème de place. Il s’agirait alors d’organiser un « essaimage », c’est-à-dire le départ d’une partie significative de membres, afin de retrouver une capacité d’accueil dans l’Eglise mère. Mais fondamentalement, l’implantation de nouvelles Eglises n’existe pas pour régler un problème de cet ordre dans les Eglises existantes – pour le résoudre il vaut généralement mieux acheter ou louer une salle plus grande – mais pour toucher intentionnellement un nouveau public qui ne fréquente encore aucune Eglise. D’où la nécessité d’implanter des Eglises culturellement pertinentes en allant rejoindre le public ciblé.

2. Une autre idée, également un peu naïve, considère que ce serait avant tout l’éloignement géographique de quelques chrétiens qui justifierait l’implantation d’une nouvelle Eglise. Si cette réalité peut effectivement être un élément déclencheur d’un processus de réflexion, ce n’est pas non plus la raison fondamentale. Nous avons besoin d’implanter de nouvelles Eglises pour atteindre avec l’Evangile, de manière incarnée et proche, des non-chrétiens.

3. Fréquemment il arrive que la réticence par rapport à l’implantation soit liée à un manque de distinction des ministères (Cf. Eph 4,11) comme s’ils étaient tous interchangeables. Quelquefois nous observons un manque de discernement quant aux possibilités et appels variés de chaque disciple. Si toute Eglise majeure a vocation à contribuer activement à l’implantation d’Eglises nouvelles – il s’agit même là de l’expression la plus aboutie de sa majorité – la mise en œuvre concrète ne concerne que quelques-uns. Ceux que le Seigneur a appelés et qui sont doués pour ce service. Les autres, ceux qui ont reçu un autre ministère, sont invités à lui rester fidèle et à laisser partir les implanteurs et les équipiers. En effet, tous ne sont pas des implanteurs.

Il s’agit aussi pour les Eglises majeures de considérer par la foi qu’il y a plus de potentiel dans la future moisson que dans la grange. Le fait d’envoyer en son nom et de soutenir des implanteurs renouvelle l’Eglise de manière immédiate et évidente, surtout en terme de vitalité spirituelle. A terme, elle sera bénie en retour par le fruit et les ministères que le Seigneur suscitera grâce à l’implantation d’Eglises chez des personnes aujourd’hui encore non croyantes, potentiel qui enrichira à coup sûr tôt ou tard aussi les Eglises existantes.

En résumé, que peuvent faire les Eglises majeures concrètement

Prier pour la naissance de vocations d’implanteurs et d’équipiers bénévoles, bivocationnels ou à plein temps en leur sein. Prier avec insistance pour que chaque Eglise majeure puisse envoyer tous les 5 à 7 ans au moins un implanteur et quelques équipiers.

– Les responsables communiquent clairement et fréquemment sur la volonté de l’Eglise de s’engager dans l’implantation dès que des ministères d’implanteurs apparaissent.

Susciter des nouvelles vocations par une bonne communication sur les formes variées d’exercer ce ministère et par l’intérêt manifesté par les responsables pour des implantations.

Encourager chaque chrétien au travers d’un processus de discipulat à discerner ses dons et à s’engager dans le service selon l’appel du Seigneur.

– Encourager les potentiels futurs implanteurs et équipiers à se former (PDi et CFRi du CNEF, IBG, FLTE, IBN).

Pour paraphraser une célèbre citation de Bonhoeffer : l’Église n’existe pas (seulement) pour ses membres, elle existe pour participer à la Mission de Dieu en faveur du salut du monde. C’est ainsi qu’elle glorifie Dieu. C’est ainsi aussi qu’une Eglise majeure maintient sa vocation profonde et développe sa vitalité spirituelle.

 

Daniel LiechtiCet article a été publié dans Action Missionnaire, revue de France Mission de juillet-septembre 2017, p.8-9. Nous le reproduisons ici avec l’autorisation de son auteur, Daniel Liechti, ancien pasteur-implanteur, actuel directeur du développement de France-Mission. Daniel Liechti est par ailleurs enseignant à l’Institut Biblique de Genève et président de la commission d’implantation d’Églises nouvelles du CNEF.